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V
76 heures plus tard, 600 kilomètres plus haut…
« - Impossible !
- Pas français !
- L’imprévu, l’incroyable, mon Dieu, le monde s’éteint. »
Le Président de la République avait exigé de connaître, « à la virgule près », les premiers mots des hommes à l’origine et seuls témoins de l’instant fatidique, quand ils avaient réalisé l’étendue du désastre. Le distingué scientifique avait narré ce dialogue, recouvrant ses intonations académiciennes, sans remarquer l’exaspération de son interlocuteur ayant toujours eu l’impression d’être considéré comme un ignare par ces sommités, sans susciter la moindre réaction de son adjoint, terré au fond de son siège, préférant ne pas attirer l’attention, surtout quand l’imitation de son humour potache atteignit parfaitement ses aigus.
Le silence fut bref. « Nos brillants esprits en sont parfois réduits aux expressions ordinaires pour décrire l’impensable. Jusqu’à ce juron occultiste ! Voyons, vous, des membres de l’Institut. Quel vocabulaire ! Indigne de votre classification. Passons. » Le chef de l’État s’était retenu de vociférer « espèces de crétins. » Ne pouvant oublier, même si ces distinctions devenaient dérisoires, recevoir un Prix Nobel et l’auteur du best-seller de l’année ; il aurait presque pu en sourire, oui, il l’avait lu, le champion de la vulgarisation de l’étendue des connaissances et du possible dans le domaine de l’électricité ! Lu comme on lisait dans son milieu, consulté une notice, suivant l’adage d’un de ses prédécesseurs « le temps est mon bien le plus précieux, mes collaboratrices doivent savoir résumer toute œuvre en trois paragraphes. » Le minuscule rictus de soulagement des fautifs s’estompa dès la phrase suivante : « si je vous livre à la foule, elle vous déchire, vous le savez, vous êtes les responsables du chaos, vous avez anéanti des siècles de progrès. Considérez-vous comme nos invités, sous ma protection, tant que vous n’aurez pas trouvé de solution. »
« Votre prisonnier ? », murmurait difficilement le "littéraire". Ce fut son unique intervention. Tandis que son modèle, son maître, son mentor, se voulait péremptoire : « Il n’existe aucune équation corrective. C’est irréversible. Nous devons vivre avec cette nouvelle donne. Nous allons prouver notre capacité d’adaptation et découvrir des possibilités impensables par nos cerveaux habitués aux temps désormais abolis. »
Notre démocrate suprême stoppait cette envolée d’un geste de la main droite et en se levant. L’éminent vieillard abordait le seul sujet agitant vraiment son esprit : « nous avons faim. » La réplique ponctuait l’entretien : « Tout le monde a faim. Vous m’avez narré l’apocalypse sur vos 600 kilomètres d’aventures. Découvrez l’antidote, ce qui fut doit être, relancez le mouvement, ouvrez les cuisines, les frigos, réactivez le réseau de livraisons, et vous pourrez vous rassasier. En attendant, nous devons tous, vous comme moi, nous contenter de peu. » Il les priait de patienter. La lecture de son raisonnement, dans ses mémoires, nous autorise à le considérer machiavélique. « S’ils sont aussi intelligents qu’ils le pensent, ils savent que la France ne peut pas avouer sa responsabilité, donc qu’il est de mon devoir de les éliminer. S’ils sont lucides, ils s’enfuient et leur statut m’interdit d’appeler la force pour les stopper, et ils pourront tenter leur chance, essayer de survivre dans la… nouvelle donne. Mais non, je plaisante fiston. Ils ne pouvaient pas s’enfuir, je ne pouvais pas rater l’occasion de briser cette mauvaise branche. Il n’en reste qu’un ! Ensuite je m’occuperai de la génération suivante, tout va être facile maintenant. Le descendant des marabouts a osé ressortir leur baragouinage du Moyen Âge, des âmes à écouter ! » Ils l’auraient suivi silencieusement, au sous-sol, prétendument l’unique endroit où un stock à l’ancienne demeurait accessible, se précipitant sur une carafe d’eau, deux verres et quelques biscuits déshydratés, se laissant enfermer avec un vieux cadenas.
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