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Chapitre LIX (début) du roman "Après l'énergie anti-électrique"
D’une écriture la plus fine possible, Pierre-Thomas explique posséder 22 feuilles de papier, de dimension 21 par 29,7 centimètres et deux "stylos", jugés sûrement insuffisants pour les "noircir". Tous l’ont encouragé à écrire, estimant son témoignage le plus important mais le papier pouvant un jour être nécessaire pour communiquer, il décide de s’en réserver 7, notant également son devoir de partager, ne serait-ce qu’un peu, avec ses compagnons d’exil. Il avait 40 ans. 7 feuilles pour 14 années de méditation devant des pages blanches. Il restait cinq centimètres vides au bas de la septième, une feuille pouvant s’écrire recto et verso. Soit une surface d’écriture de 14 * 0.21 * 0.297 : 0,87 m2. Moins d’un mètre carré pour résumer son savoir, son passé et 14 années d’observation. Auxquelles il parviendrait à ajouter les blancs de vingt flyers de la propagande Emmanuellienne. On le sent : chaque mot fut pesé avec cette conscience de la faible surface disponible.
Éva a considéré deux feuilles suffisantes. Jean, une. Il avait 15 ans. Les autres membres en ont demandé cinq, certains se limitant à une demie. Il en restait donc sept.
Lors de mon unique entrevue avec Jean (souvenez-vous, j’avais 22 ans) nous n’avions pas eu le temps d’aborder ce versant de leur réclusion. Ses six feuillets, je les ai emmenés. Le septième fut "prêté" aux émissaires d’Emmanuel II. Maeva en connaissait la cache et elle ne fut pas découverte par les assassins, qui ont souillé détruit tout ce qui leur est tombé sous la main, dont les explications d’Éva et Jean (finalement deux feuilles).
J’ai déjà puisé dans ces notes. Le reste me semble également éclairer cette vie française, la vision du monde selon Thomas et descendants :
J’ai souvent déploré l’incapacité d’une grande partie de mes contemporains à écrire un texte sans l’aide d’un correcteur d’orthographe, écrire était déjà une absurdité anachronique, la besogne d’un robot se chargeant même d’étayer un raisonnement de citations et d’enjoliver le style, l’homme dictant. J’étais un passéiste. Comme mon père !
Quand on osait demander ce qu’il adviendrait si demain les machines cessaient de nous fournir leurs aides, on nous accusait de chercher d’inutiles polémiques. Et si le soleil s’arrêtait de nous réchauffer, la terre de tourner, que ferais-tu Pierrot le fou ?
Quand on souhaitait encourager nos compatriotes à lire, à se cultiver, on nous répondait que l’important était l’entendement, la capacité de réflexions, et que tout vivant a besoin de distractions, que nous n’avions pas à essayer d’imposer notre manière de vivre, que nous étions les dictateurs potentiels. J’ai l’impression d’avoir crié dans un désert. Même dans notre parti, ils m’accordaient une légitimité historique mais me conseillaient un peu de modernité.
Aujourd’hui, moi qui aie tant lu, tant étudié, quand les jeunes me demandent ce qu’il y a d’important à savoir, je ne sais que répondre. Ce ne sont pas dix dates, dix citations, c’est un tout, c’est ce qui fait un homme. Oui, quand on a le tout, on peut en extraire dix citations, dix dates, mais sorties de leur ensemble, elles n’apportent rien si elles n’encouragent pas à aller plus loin, à lire par exemple les auteurs des dix citations. C’est l’accès au tout, qu’il faut, et que chacun puisse papillonner à son goût. Je sais, l’œuvre intégrale de mes dix auteurs, elle est perdue, au moins introuvable. Et quelques mots aujourd’hui ne servent à rien. Hier je pouvais peut-être changer la vie d’une personne sur cent par mes propos. Aujourd’hui, même si mille lisaient cette page, ils me demanderaient où les trouver les lettres à Lucilius, les traités sur la Vie Heureuse, la Colère, de mon cher Sénèque. Oui, j’ai lu l’intégralité de ses œuvres, même et surtout les 36 lettres réécrite par Thomas 1er puis les 12 suivantes par Romane 7, les 4 suivantes par Romane 12… et je n’ai même pas entrepris de réécrire les 16 dernières. En mille ans, nous les descendants, n’avons pas été capables de mener à bien son plus beau projet. C’est ainsi qu’il envisageait cette réécriture, il avait même demandé à l’un de ses amis d’en enfermer un exemplaire dans une bouteille soufflée en verre, enterrée dans son jardin désormais englouti. Qui aujourd’hui pourrait comprendre la beauté du De Profondis d’Oscar Wilde si je parvenais à en retrouver même trente passages dans ma petite tête de linotte ? Je suis un homme d’un monde qui n’existe plus. Toute la littérature est à recommencer. Balzac, revient écrire la comédie humaine.
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