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Partie X du roman "Après l'énergie anti-électrique"
XIX
Un des grands personnages de cette France d’avant l’an 2000, ce fut le Général de Gaulle. Le soir, pépé me racontait les bandes dessinées lues durant son enfance, il avait également été son héros préféré. Une bande dessinée était un texte illustré de dessins. Je n’avais que le son, passé par sa mémoire, mais ses mimiques devaient valoir tous les dessins du monde. J’adorais lorsqu’il se levait, saisissait une vieille casserole en guise de képi, se la posait sur la tête, écartait les bras et hurlait au point d’inquiéter la chienne Mickette jamais habituée « je vous ai compris ! »
Ce général était tellement célèbre que des bandes dessinées ont raconté sa vie, au siècle suivant ou après, j’ai oublié ou pépé avait oublié.
Ma préférée, ça reste le tome 1, « et le général devient De Gaulle. » En ce temps-là, les militaires, pour se distraire, puisqu’il n’y avait plus de guerre, jouaient au football. Paraît que plus tard, ce sport est devenu professionnel, et les meilleurs gagnaient plus qu’un Président. Mais au 20ème siècle, c’était encore un amusement, une distraction, surtout des militaires, car en règle générale ils étaient sportifs, sauf ceux noyant leur ennui dans la bière.
Et si tout sportif voulait jouer avant-centre, pour être félicité quand il marquait un but, et acclamé par les majorettes… les majorettes étaient des genres de danseuses mais avec un bâton qu’elles envoyaient en l’air, le plus haut possible, et parvenaient à récupérer sans éborgner leur voisine. Tous avants-centres et personne gardien. Comme il n’y avait qu’un avant-centre, certains, surtout ceux très musclés des gambettes, dotés d’une forte frappe de balle, se positionnaient au milieu, car ils espéraient quand même pouvoir marquer de loin. D’autres acceptaient de défendre, rester derrière, les moins gradés, mais on leur promettait de pouvoir parfois se lancer dans une montée sauvage pour essayer d’en mettre un, de but. Mais gardien, personne. Puis le général a dit, il avait un autre nom alors, celui donné par ses parents, mais il est devenu tellement connu comme Général de Gaule, que tout le monde l’a oublié. Le général, qui avait les pieds légèrement, très légèrement, infiniment, carrés, mais quand même au point de taper le plus souvent à côté du ballon, a proclamé « je vais faire gardien. » Mais comme il en fallait un dans chaque équipe, on ne pouvait pas siffler le coup d’envoi et dans sa tribune la reine d’Angleterre s’impatientait car elle recevait à 16 heures les membres du gouvernement français pour un thé, et si le match ne commençait pas rapidement, la boisson infusée des feuilles séchées cultivées dans le parc et les madeleines de Proust, une spécialité de Buckingham Palace, seraient froids.
Oui, tout a débuté un samedi où les militaires français ont rencontré leurs homologues britanniques, dans un match mémorable, d’ailleurs j’en cause encore. À Londres. C’est pour cela que dans les numéros suivants, quand il répondait au téléphone, notre héros, plutôt qu’un simple « allô ! » s’exclamait « Ici Londres, les français parlent aux français. » Pour bien comprendre son humour, parfois prétendu décalé, ou de casernes, il faut savoir qu’alors, le téléphone permettait uniquement des appels nationaux, donc ses interlocuteurs le savaient en France, et non en shoping à Londres.
Revenons au terrain. Les vidéastes également s’impatientaient car l’événement était retransmis en mondovision, la planète adorait regarder ces jeunes hommes shooter dans un ballon.
Alors le Général a dit… Par la suite, Il a existé un jeu « De Gaulle a dit », bref cette après-midi-là, le Général a décrété : « vous inquiétez pas, je suis le plus rapide, je ferai gardien des deux côtés. » Un colonel osa objecter tout haut « tu n’y arriveras jamais » mais comme l’ombrelle de la Reine tournait, l’arbitre a tranché « on y va. » Oui, un militaire acceptait ce rôle, l’unijambiste. Et tous y sont allés. Et il a couru tellement vite, le général, qu’il fut gardien des français et gardien des anglais. Et qu’après une heure et demie, le score restait vierge, oui toujours zéro à zéro. Car le génial général avait tout arrêté. Même un penalty de Platini, on ne sait plus pour qui, car il avait un nom italien. Ce fut un match nul mais tout le monde applaudissait le général, il avait gagné, « donné une leçon de réalisme à nos peuples amis. » Un héros.
Alors la reine eut un mot mémorable, « invitez donc au lunch, le Général deux Goals. » Ce qui le lendemain faisait la une des journaux, en France deux transformé en de. Oui, à cette époque, un match de ballon rond pouvait faire la une des quotidiens.
Au bout de quelques semaines, sous la pression des linguistes, allergiques à cet anglicisme, les journalistes français se sont réunis, et ont délibéré : oui, Goal sonnait effectivement trop anglais. G.O.A.L. Et ils ont francisé notre héros, de Gaulle à la française, G.A.U.L.L.E. Et le pseudonyme fut approuvé par le principal intéressé. On appela ce jour celui de la délibération. Il fut fêté chaque année.
On le surnommait également « le Zidane du ballon rond », oui, un Zidane, un mec qui se cogne la tête partout, c’est une vieille expression, ne me demandez pas d’où elle sort, je l’ai demandé à pépé, il l’ignorait. Car notre « Zidane du ballon rond » au moins une fois par match se cognait contre un poteau, et en traversant le terrain parfois avec l’arbitre, oui l’unijambiste, ne s’écartant pas toujours assez vite quand la fusée gaulliste jaillissait.
Après il y’a les De Gaulle en vadrouille, De Gaulle s’entraîne, De Gaulle à la mer, De Gaulle à la montagne, De Gaulle revoit la Reine, De Gaulle candidat, De Gaulle et les troufions.
Ce qui est bien, c’est que dans chaque histoire, sa petite phrase préférée revenait cinq fois « Je vous ai compris. » Ainsi on les comptait, en attendant la prochaine, la dernière tombant toujours à l’ultime minute. Et le plus souvent, comme il lui arrivait des embrouilles, du genre être enfermé dans un vestiaire ou les toilettes, seul sur son banc, ou un autre siège, il murmurait « la vieillesse est un naufrage, la jeunesse est un marécage, et moi j’essaye de flotter. »
Oui il y eut un De Gaulle candidat. Car quand il fut trop vieux pour le football, il a bien fallu qu’il trouve un autre jeu. Alors il s’est lancé en politique. Dans ce tome, le « Je vous ai compris » figurait à chaque paragraphe. Ça en devenait presque lassant, surtout pour pépé avec sa casserole. La politique, ça lui plaisait, et comme il était tellement populaire, il a été élu. Mais rapidement il s’est découragé, il avait les boules, notre de Gaulle. Chaque soir à Yvonne, oui je ne l’avais pas signalé, il y a un De Gaulle se marie, donc assis dans son fauteuil, à sa femme, fatigué il égrainait « je n’aime pas les communistes, car ils sont communistes, je n’aime pas les socialistes car ils sont socialistes, je n’aime pas les écologistes car ils sont écologistes, je n’aime pas les miens, car ils aiment trop l’argent. »
Le dernier numéro, De Gaulle en vacances, est très triste. Car à la dernière page, De Gaulle avec ses potes, des colonels, part en ballade. Il est grand, il est beau, sur sa grosse moto, sans casque. Il roule lentement, prudemment, sur cette petite route sinueuse, et il est mort le général, car il n’a pas vu que le camion arrivant en face tournait à gauche. Faut dire, le camion, il a tourné sans prévenir, sans clignotant, et qu’à gauche y’avait même pas de route. Mais le chauffeur a tourné. Plus tard il a répondu aux journalistes « j’étais persuadé qu’il y avait une décharge à gauche. » Et vous ne l’avez pas vu arriver, le motard ? « Non, il roulait tellement vite, une vraie fusée. » Le général s’est éteint, dans les bras d’un colonel, son pote, celui du premier match à Londres, qui le suivait à trente mètres et a tout vu. Il a juste prononcé un mot « naufrage. » Et le colonel de conclure « j’ai la rage, contre ce virage. » Pourtant le virage était à plus de trois cents mètres. Selon pépé, soit une erreur s’est glissée dans le scénario, soit y’avait une embrouille. Mais on ne peut pas croire que ce soit un assassinat maquillé en accident. Pas au vingtième siècle. Pas un général. Un humoriste, on aurait compris. Mais pas notre général.
Après, sûrement par esprit de rentabilité, ils ont publié un hors-série, les héritiers du Général. Ce fut un bide complet, comme il l’avait remarqué de son vivant, les siens ne pensaient qu’au fric. Et ça, pour des lecteurs, c’est vite intolérable la République devenue Répufric.
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Page de la série les élus, interviews et chroniques. Cette page est issue du roman 2020 de Ternoise Après l'énergie anti-électrique .
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