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Chapitre XLIII du roman "Après l'énergie anti-électrique"
Je croyais mon véritable travail terminé, l’autre, la réécriture acceptable n’étant qu’une imposture à laquelle trois jours suffiraient… Je retournais donc auprès des miens, ma sœur, son mari, leur fille, pour leur en accorder la primeur, leur montrer ma vénérable utilisation de ce temps d’errances. J’étais l’un des privilégiés du nouvel ordre, pouvant, au nom de la culture officielle, se servir à toutes les tables, j’avais l’étoile jaune et le sceau du monarque cousu sur ma veste.
Il en fut sûrement ainsi à toutes les époques : la plupart des parents préfèrent ne pas encombrer la cervelle des enfants avec de vieux conflits. Puis le temps passe et les morts n’ont pas eu le temps de tout raconter. Parfois les rancunes s’éteignent, parfois les adultes n’y comprennent rien à la haine tenace d’inconnus ! Mon grand-père m’avait certes "tout dit" mais j’étais un gamin et ce fut sous une forme de conte. Je saisissais la limite de savoir une chose sans posséder les grilles de lecture.
J’avais certes changé d’identité, inventé un passé auquel finalement, sauf quand je me retrouvais auprès des miens, je m’identifiais. On finit par croire en ses mensonges. J’étais connu et respecté sous ce nom. Au fond de moi, les miens me semblaient un peu paranos et les Emmanuels de la même vaine que le Néron de Sénèque, un autocrate, susceptible, colérique, despotique. Tout le monde était en danger de déplaire au monarque et de finir la tête dans un panier. Tout le monde devait être prudent. Mon grand-père, alors ? Du genre mythomane, ce vieux terme ressorti, pour qualifier une grande partie du microcosme des nouveaux érudits. Oui, chaque jour semblait ramener à la mémoire de l’un de nous une légende familiale, une fabuleuse aventure abracadabrante. Tous nous pouvions nous prévaloir d’ancêtres fidèles et dévoués à la dynastie de l’homme fort … Ah nos aïeuls ambassadeurs, plumes à la une des grands médias, auteurs des plus belles formules, acteurs d’intrigues internationales, leurs légions d’honneur, leurs honneurs. Puis Sandrine a parlé. D’une métaphore déplacée, je dirais, et la lumière fut ! C’est peut-être ça, "être français", finalement, chercher en toutes circonstances le bon mot.
Je n’aurais jamais cru nécessaire de devoir, pour comprendre la sauvagerie des Emmanuels d’un monde dévasté, remonter mille ans en arrière. Je n’aurais jamais cru qu’en une heure ma vision du monde, de notre histoire, s’effondrerait et d’autres logiques l’encadreraient. Si je souhaitais "laisser quelque chose", réécrire de nombreux passages s’imposait, en essayant de dénicher les pièces manquantes du puzzle millénaire. Dans un pays dont la chronique a disparu !
Ma première surprise : Sandrine seule, alitée. Pour son dernier sommeil. Je lui résumais néanmoins la teneur générale de ma visite.
Sandrine, seulement 49 ans, je l’avais connue la plus vaillante d’entre nous. 49 ans, est-ce déjà "pas mal" ? 1000 ans plus tôt, Rose avait 44 ans, Rose, notre mère à tous, énergique et joyeuse, lumineuse, foudroyée par une méningite carcinomateuse, un « cancer du cerveau », des métastases montées par la colonne vertébrale, après un cancer du poumon dont la pollution et la chimie constituèrent sûrement l’origine, une tumeur inguérissable. Alors qu’il suffisait de bloquer les métastases comme la médecine le découvrirait quelques années plus tard. Sandrine, seulement 49 ans. Et moi 51 depuis février.
Des hommes étaient venus. Ils voulaient savoir ce qu’était devenu leur fils. S’il avait des enfants. Ils me cherchaient. Ils exigeaient également des renseignements sur Jean-Thomas et sa descendance. Ils avaient emmené Roger (son mari) et Fabienne-Romane (leur fille). Ils l’auraient emmenée, si elle avait pu se lever. Ça faisait 15 jours et chaque matin elle se demandait comment elle était encore en vie. Une voisine, une amie, lui apportait quelque nourriture mais elle ne pouvait plus rien manger, prenait juste un peu d’eau. Donc elle savait que j’allais revenir…
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