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Chapitre XLIV (suite 2) du roman "Après l'énergie anti-électrique"
Quant à Thomas, Thomas 1er, car pour tout comprendre, aussi grotesque cela soit-il, il faut revenir aux origines, Thomas fut assassiné sur la tombe de son Amour. Il est apparu deux fois à sa Romane. Accompagné de Rose. La première pour lui prendre les mains et lui murmurer « Vas-y. Tu dois y aller. Tu l’emporteras. » Elle n’y croyait pas, comme avant elle ne croyait pas « aux histoires de [son] père sur sa connexion avec Rose, considérant qu’il s’agissait d’une invention de son cerveau refusant cette inacceptable intolérable maladie et disparition, lui conseillant de voir un psy, se faire soigner » mais elle l’a fait, même si elle pensait elle « aussi avoir été victime d’une hallucination. » La deuxième, 12 ans plus tard, avec les mêmes gestes « J’ai été assassiné par un poison d’un tir dans le cou, sur ordre du député désormais Premier Ministre, bientôt tu parleras. »
Romane ayant su être présente sur le terrain tout en devenant une figure nationale, le retors réaliste, aux législatives suivantes, jugeant irrécupérable sa circonscription, s’était parachuté dans une autre, facile, un bastion de son parti, en Normandie.
Et à 82 ans, l’homme qui avait été à 21 l’un des plus jeunes conseillers départementaux de France, l’homme qui avait été à 28 l’un des plus jeunes députés, devenait l’un des plus vieux Premier Ministre. Entre la jeune femme et l’expérimenté politicard, la paix semblait pourtant instaurée, il louait sa fougue, son réalisme, et l’avait considérée la plus qualifiée de son camp pour le Ministère de la Culture, dans le gouvernement précédent, qu’il réussit à renverser en brisant une alliance. Mais « enfin revenu à Matignon » il retrouvait sa morgue, sa hargne, son mépris, essayant même immédiatement d’invalider sa deuxième réélection en organisant des plaintes pour fraudes.
C’est en prélude du traditionnel grand discours de politique générale, devant l’Assemblée Nationale, que se dénoua et se noua une partie du drame. Alors que chaque député passait, suivant la tradition, pour le saluer, il lui balançait discrètement :
- C’est fini pour toi, j’aurai ta peau, la métisse du clown.
D’une manière qu’elle qualifierait ensuite d’automatique, Romane rétorquait très distinctement :
- Je sais que tu as fait assassiner mon père d’un tir de poison dans le cou.
Réalisant la portée de l’accusation assénée, elle le voyait déjà éclater de rire, la traiter de folle, la ridiculiser, l’humilier, prendre à témoin ceux qui avaient entendu.
Ce défilé constituait le versant privé, seules les paroles officielles seraient retransmises en direct mais les caméras tournaient et les conséquences de cet échange entraînèrent sa diffusion. Jamais le fourbe n’aurait pu imaginer cet assassinat connu. Les exécutants avaient été éliminés par une autre équipe. Oui, il avait eu peur de la popularité grandissante de l’écrivaillon, oui il s’en amusait quand, malgré ses impertinences, à la fin le marginal récoltait 4 à 12%. Il en avait d’abord souri de cette soudaine gloriole littéraire puis les sondages politiques l’avaient embarrassé. Il se savait de plus en plus impopulaire, considérant sa circonscription comme un amas de médiocres, vivant quasi continuellement à Paris, la vraie vie, chargeant des collaborateurs de simuler sa présence. Le maire de Cahors restait son adversaire traditionnel et cordial, sur les bases d’un accord tacite : l’impétueux baron n’essayait pas de conquérir sa mairie, ni directement, un risque d’échec trop élevé, tellement le clientélisme verrouillait la cité, ni indirectement, les chances de succès s’avérant encore moindres, et le débat restait bon enfant. Un partage du gâteau entre gens du milieu. Le maire de Cahors espérait "secrètement" une apothéose élyséenne libérant la circonscription, même si son collègue de Brive suivait comme un caniche, avec le même espoir et plus d’envergure, l’étoile du Dordolot.
L’impertinent plumitif parvenant à capitaliser le succès du « petit roman des pauvres », dans des intentions de vote, le député intervint auprès des médias, mais il était trop tard, ils devaient continuer à rendre compte d’un succès de librairie comme on n’en rencontrait qu’un par décennie, rappelaient le cas d’un Stéphane Hessel, tout en le rassurant, distillant par jeu et pour lui faire plaisir, de plus en plus de petites piques méchantes et inutiles, l’article paru le dernier matin notant ainsi « le monde de l’édition a besoin de ces succès imprévisibles, de ces emballements sans raison ni conséquence, ces ventes émotives. Dans notre cas, l’apitoiement constitue le principal ressort, pitié pour un homme souvent pathétique mais auréolé d’un beau titre, qu’on dit d’ailleurs trouvé et imposé par son éditeur. On achète parfois un livre pour sourire d’un auteur ridicule dans ses aberrations égrainées comme de fines analyses sociales. Les riches seraient tous des méchants et les pauvres des gentils ! Comme c’est injuste de naître doué ou bon à rien, mais ce n’est pas une raison de ne savoir pas rester à sa place, d’importuner par jalousie les plus talentueux. Quant à l’écriture, ceux qui lisent un livre par décennie s’en contentent, le public littéraire sourit. L’éditeur, en plus de rectifier le titre aurait été bien inspiré de confier son texte à un professionnel de la réécriture, ce qui aurait évité ces lourdeurs, certes le charabia électoral habituel du monsieur qui ferait mieux de saisir la perche du succès pour abandonner ses loufoqueries. Son éditeur lui dégoterait facilement un nègre, ou une négresse, le métier s’étant féminisé. Mais le petit bonhomme au chapeau semble décidé à continuer de se ridiculiser aux prochaines législatives. Combien d’électrices et d’électeurs pourraient souhaiter subir son idéal de pauvreté ? Saint François d’Assise, priez pour lui. »
Romane et monsieur Emmanuel se fixaient. Aucun ne baissa les yeux. Romane sentait l’envie de fuir, se réfugier dans n’importe quel placard du vestiaire mais le Premier Ministre restait figé, se mordillait l’index de la main droite. Elle ajouta comme on se jette à la mer du haut d’une falaise en croyant pouvoir sauver sa vie : « Mon père est revenu. On peut manipuler les électeurs mais les morts veillent. » Monsieur le Premier Ministre s’effondrait. Un arrêt du cœur fatal, malgré l’arrivée quasi immédiate des secours. Ce n’était donc pas une hallucination ! L’impossible était la réalité !
Depuis, pour ses descendants, il s’agit d’exterminer « les sorciers. » Quelques générations plus tard, ils sont parvenus à convaincre le monde de bloquer le retour des âmes.
Le fils du défunt, dans son intervention télévisée du soir même, déclencha avec ses premiers mots un sourire guère de circonstance dans les foyers : « dans 1000 ans, si nos descendants croisent encore des descendants de ces sorciers, qu’ils les réduisent en bouillis. Cette femme a tué par ses accusations mensongères le Premier Ministre de la France, nous avons demandé sa déchéance de la nationalité et lancé une poursuite pénale pour diffamation et meurtre, avec la circonstance aggravante de la préméditation. Cette indigne opportuniste connaissait la fragilité physique d’un homme ayant tout donné pour son pays. Elle avait préparé son venin, son poison verbal de sorcière, qu’elle a craché dans ce sanctuaire de la République. »
Quelques jours plus tard, Romane fut priée de réagir : « Il nous semble que feu M. Le Premier Ministre a avoué, par sa réaction, avoir été le commanditaire de l’assassinat de mon père. En disparaissant, il a immédiatement stoppé toute possibilité de poursuite pénale mais la connaissance de la vérité était bien l’essentiel. Mon père aimait la vie, il souhaitait continuer à vivre. Après avoir subi tant d’hostilités, il se sentait enfin en phase avec le monde littéraire et même notre département. Les quercynoises et quercynois avaient compris que ceux qui s’acharnaient contre lui, lui collaient une mauvaise réputation, confisquaient le pouvoir pour maintenir leurs petites affaires... Il est celui qui a osé exposer la réalité, par exemple sur la pollution des eaux aux pesticides et nitrates, bien avant la fermeture forcée de nos stations municipales. Le clown, le nuisible, le fou furieux, il fut un « banni de la société » pour reprendre le terme de votre confrère De La Bonnemère. Mais il répondait par l’humour, la sagesse, amplifiant encore la hargne de ces installés malhonnêtes au point de lui inventer des « propos injurieux. » Et pour conclure, l’assassinat... « Face au danger communiste, mon père a toujours fait ce qu’il devait faire pour le bien de notre pays » a proclamé son fils aîné. Au-delà du ridicule amalgame essayant de coller une étiquette extrémiste à un sage ayant toujours défendu la notion de France Harmonieuse, la République se doit de réagir si elle considère cette proclamation comme une complicité de crime. Il n’existe pas de crime politique, juste des crimes crapuleux. Tout crime salit la politique, le parti coupable mais également le pays... Même un ange ne peut pas totalement protéger un homme confronté à la haine prête à tout. Rose était auprès de lui quand il est tombé mais elle n’a pu dévier la main criminelle. Je souhaite au Premier Ministre défunt que son âme puisse être purifiée. J’encourage sa famille, personnelle et politique, à méditer ses derniers mots, ses derniers gestes et à vivre désormais dans la bienveillance. Députée de la terre où il repose désormais, je me suis abstenue de participer à toute cérémonie, ne me sentant pas désirée. Que la paix et la sérénité soient en eux, et en vous toutes et tous. Papa, j’essaye de faire pour le mieux même si je n’écrirai jamais de roman, tu me manques. Toi aussi maman. Je vous envoie tout mon amour que je n’ai pas toujours su vous exprimer. »
Plus tard, en se revoyant, Romane ne comprendrait pas comment de telles paroles coulèrent de ses lèvres. Non qu’elle les trouva contraires à sa pensée mais tellement éloignées de son vocabulaire usuel. Quelques années plus tard, Ministre de la Culture puis Premier Ministre elle marquerait son époque en employant justement ce genre de propos inhabituels dans la classe politique. Elle serait considérée comme la première femme spirituelle à accéder à d’aussi hautes responsabilités en Europe, même si elle refuserait de briguer la fonction suprême, préférant se consacrer à ses enfants, Séraphine et Stéphane, retournant vivre à la campagne et se coupant du monde, surtout des mondanités. Pour finalement écrire, effectivement aucun roman mais des souvenirs.
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