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Partie X du roman "Après l'énergie anti-électrique"
XV
Après les attentats sur les centrales nucléaires françaises, et ceux déjoués, stoppés, à l’ultime instant sur celles de la Grande Russie et du Japon, l’ONU avait facilement réussi à convaincre les nations de centraliser et surveiller l’ensemble des transactions, une forme de nationalisation mondialisation des banques, naturellement au nom de la lutte contre le blanchiment des revenus du grand banditisme jusqu’à la petite délinquance. Et de généraliser et durcir le contrôle électronique et biométrique, imposé lors du septième grand confinement dans de nombreux pays.
Même si le monde entier a subi les retombées radioactives, la France fut et reste naturellement le territoire le plus touché, aux conséquences sanitaires les plus exacerbées. L’espérance de vie tomba sous 35 ans. La Belgique, l’Espagne, la Suisse, l’Italie, les Pays-Bas luxembourgeois, le Royaume Uni connaissent certes une situation similaire. Nos ancêtres ont douté que ces territoires puissent un jour retrouver « une vie normale. » L’Allemagne fut touchée à un degré nettement moindre, comme si le nuage radioactif s’était arrêté à la frontière ou avait traversé le pays en y déposant presque rien, certes déjà trop. La chancelière avait immédiatement décrété de faire tourner les éoliennes à l’envers pour surélever les vents. Après en avoir souri le monde reconnaissait le bien-fondé de l’initiative, même si la Pologne l’accusa d’avoir reçu une « double dose », ce à quoi la chancelière rétorqua que si tous avaient suivi son conseil, l’uranium serait retombée principalement dans les déserts et en mer, et renvoyait le Premier Ministre polonais à sa première réaction d’ironie « sur la chancelière aux vents contraires qui ferait mieux de retourner dans son salon y agiter son plumeau et laisser le temps aux spécialistes de la commission européenne, réunis sous sa direction, de rendre ses conclusions. »
La France a versé à ses voisins et au monde un dédommagement. Elle ne pouvait même pas accuser un groupe étranger, les terroristes, identifiés par leur puce, étaient nés dans l’hexagone, comme leurs parents, tous au moins depuis cinq générations. Quant à leurs motivations, elles n’ont jamais semblé claires aux officiels, persuadés d’un complot plus vaste, pourtant tous ont déclaré agir pour la libre circulation des âmes, souhaiter détruire la frontière électronique entre les deux mondes. « Nous sommes les envoyés de Dieu. » Mais tous les groupes religieux ont condamné ces actes odieux et les protagonistes furent reconnus, par des psychiatres unanimes, mythomanes, schizophrènes et bipolaires. Condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, ils furent exécutés au sixième coup d’état. La France Harmonieuse, ce "micro parti" toujours fidèle à la pensée de son fondateur, Thomas 1er, fut "naturellement" accusé d’avoir favorisé l’émergence de cet extrémisme, en ayant été le seul dont les élus ont unanimement refusé, à l’Assemblée comme au Parlement Européen, le lancement de ce « rideau de fer. »
Malgré l’anarchie, la France a payé, vidé ses réserves d’or, ses musées, et prélevé sur le compte de l’ensemble des citoyens les sommes nécessaires. Chaque citoyen a dû participer à l’effort, les plus pauvres ayant ainsi totalement été asséchés, comme les comptes des victimes. Malgré la débandade totale, les affaires continuaient.
Un rayon de trente kilomètres autour des quatre centrales fut rayé de la carte, inhabitable encore pour sûrement des millénaires. Dans le premier cercle, celui de cinq kilomètres, les habitants bénéficiaient d’un stock de cachets d’iode, censés protéger les organismes de l’uranium. Au-delà, le plan U se déclenchait immédiatement et les pompiers en délivraient aux populations. Malheureusement les terroristes n’avaient pas prévenu huit jours à l’avance, comme dans les grandes simulations qui rassuraient le peuple, et celles et ceux ayant accès aux stocks se sont servis, en s’enfuyant le plus loin possible ou se calfeutrant chez eux. Des abris anti-atomiques existaient. Il y eut des survivants. La famille de La Figue du Midi fut congratulée pour avoir sauvé les plus éminents collaborateurs du quotidien. Ils réussirent de leur refuge à envoyer des chroniques dont les revenus publicitaires, et les dons, permirent le rachat du Navet du Nord et du chou de l’Est.
L’État étant complètement asphyxié, la suspicion générale y régnant, le CMM, "Club des Maîtres du Monde", principale structure des grandes fortunes, organisa trois ravitaillements puis l’extraction des notables de leurs abris, lors de convois humanitaires, dont il obtiendrait plus tard le remboursement par les collectivités régionales des sommes engagées, des opérations pourtant déjà entièrement financées par les sponsors. Les familles concernées bénéficieraient également du fond d’aide aux victimes, pour le stress, la coupure sociale et leur réinstallation sur les terres les plus saines.
Par la mise en place de la surveillance électronique globale, l’Afrique Unie est parvenue à endiguer le flux d’émigration de ce bloc. Seuls les plus fortunés furent acceptés, surtout des suisses. Ils se plaignirent d’y être dépouillés d’une grande partie de leur économie, d’y être volés, peu respectés. Aucun Boat people n’a pu accoster sur ses rives, l’eldorado, la surface de la planète la moins touchée par les retombées, grâce « à la providence du vent. » On a parlé de millions d’européens disparus en mer dans l’espoir d’une vie meilleure. Certains abandonnaient tous leurs biens à "des passeurs" qui les balançaient dès qu’ils étaient bloqués par des tirs de lasers. Certains les balançaient même bien avant, pour venir chercher une autre cargaison. Chaque jour, des deux côtés de la Méditerranée, des corps s’échouaient. Certains les ouvraient pour récupérer de l’or, des diamants, avalés ou enfoncés dans l’anus ou le vagin. Pourtant ce « spectacle insoutenable » ne suffisait pas à stopper les tentatives. La cale d’un bateau fut même transformée en chambre de la mort. À peine enfermés, les occupants étaient gazés puis les habits récupérés, les corps dépecés à la recherche de trésors et les "beaux morceaux" stockés pour être revendus, en France, à une boucherie, sous l’appellation de gazelle. Les restes éjectés aux poissons. L’horreur s’arrêta quand l’un des émigrants, ayant emporté une grenade, comprit l’innommable piège et la dégoupilla, l’Ozvitz n’était qu’à un kilomètre des côtes et la plupart des survivants réussirent à regagner le rivage.
L’Europe des becquerels fut coupée du reste du monde durant une centaine d’année.
Dans nos difficultés d’un monde sans électricité, dans nos souvenirs du monde d’avant, nous ne pouvons guère nous représenter ce temps-là. Des enfants naissaient avec six moignons, un œil, deux têtes, sans jambe… La France fut officiellement le pays le plus pauvre du monde. Pourtant la France s’est redressée. La France s’est agglutinée dans les zones les moins contaminées. La France a rattrapé ses retards. La France s’est adaptée aux normes mondiales et sa richesse nationale est redevenue comparable à celles des grandes nations.
Ce fut un nouvel âge d’or, une « époque de falsifications et vols impossibles. » Tout vivant comme tout bien étant pourvu d’une puce inviolable, des bornes enregistrant les déplacements, mesurant la « tension nerveuse », détectant toute « matière inappropriée ». L’ordinateur central possédait l’intégralité des biens de chaque humain, biens matériels, immatériels, vivants. Tout achat, toute vente, toute rémunération passait naturellement par ses services, pour un coût moyen de 2 à 5%. La tentation du troc n’avait pas résisté aux crises sanitaires. Tout bien reçu étant décontaminé par un robot dévoué. La pratique des jardins individuels, des cultures en pots, s’est également arrêtée pour des raisons sanitaires. Toute graine devait être aseptisée avant plantation et seuls des robots dévoués pouvaient réaliser cette opération. Malgré un retard considérable, une industrie décomposée, la France, à l’origine d’une nouvelle génération de « robots dévoués », en devint le leader mondial. Comme dans le domaine des salles et cabines de décontaminations. Un slogan définissait ces décennies « innovez, créez, enrichissez-vous, profitez ! »
Cette période fut la dernière où une reconstruction redistribua, un peu, les cartes de la hiérarchie sociale.
L’ordinateur central gérait également l’accès autorisé aux surfaces possédées par chacun. Ainsi, la propriété individuelle était respectée au pied de la lettre. L’arrivée sur une parcelle réservée constituait une de ces sanctions faibles et immédiates. Un peu comme si tu recevais un coup de petite baguette sur l’oreille, selon grand-père. Si l’intrusion perdurait, l’intensité s’amplifiait. Chaque citoyen disposait d’une page « gestion de l’étanchéité de vos contacts. » Cette fonctionnalité permettait aux plus riches d’éviter tout contact avec les déclassés.
Le patron du groupe leader mondial du secteur de la décontamination, grâce au modèle de cabine considérée la plus efficace, est même entré dans le Top 10 des fortunes mondiales, puis devenu numéro 1, patron du CMM. La France pouvait être fière, elle l’était, de nombreuses fêtes furent organisées en son honneur. On se doit de signaler qu’il eut, pour lancer son empire, le bonheur de découvrir un stock d’or et de diamants en creusant une cave dans sa propriété. Le législateur avait naturellement pensé à la découverte d’objets, les droits se partageant à égalité entre le propriétaire du terrain et l’État. Dans sa bonhomie inhabituelle, la CNNE, commission nationale des nouveaux étiquetages, accepta de restreindre sa part à 20%. La France avait épongé sa dette et officiellement considéra ce geste comme une incitation à la relance économique, le bénéficiaire s’étant engagé à investir dans les domaines innovants, ce qu’il fit effectivement, en rachetant et fusionnant les trois principaux acteurs hexagonaux du marché de la décontamination. On peut néanmoins douter de sa « découverte », s’agissant du petit-fils de l’ancienne plus grande fortune nationale, héritier d’un mastodonte du luxe, et soutien indéfectible du principal parti encore appelé « de droite. » Ces notions de droite et gauche sont difficilement compréhensibles, il s’agissait déjà tout simplement d’une approche matérialiste avec un désaccord sur le partage de la grosse galette, le petit gâteau suffisant au troupeau de pauvres. Donc finalement presque la même chose au regard du mouvement spirituel, dont Romane 1ère et sa descendance furent les seuls à parfois, rarement, accéder au pouvoir.
Nous méditons régulièrement la devise de cet âge prospère : « il n’y a pas de liberté réelle sans sécurité maximale. »
En quelques secondes, les compteurs furent remis à zéro. Plus personne ne pouvait payer. D’ailleurs, il n’y avait plus rien à acheter. Plus personne ne pouvait prouver son identité ni la propriété d’un bien. Plus aucune entrée des zones 1 à 3 ne fonctionnait. Plus aucune puce ne pouvait exécuter la justice selon la République assagie.
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