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Chapitre de "Montcuq, troublant"
Jacques Mesrine est mort
Jacques Mesrine est mort. C’est une vieille nouvelle, pourrait rétorquer réagir ricaner le maire de Montcuq, si je m’exprimais devant lui, même si aucune indiscrétion ne l’a décrit en bout de table d’un repas des Maury, attirant l’attention en imitant la voix de Bernie Bonvoisin avec « porte de Clignancourt, vendredi 2 novembre, soit fier de ta police elle a exécuté… »
Quand Giscard a annoncé, Trust chanté, wikipedia affirme, est-ce forcément vrai ? L’ennemi public numéro un est tombé à 15 heures 15 sous les balles de la police prétendue républicaine, en 1979, les reporters comptèrent dix-huit impacts sur le pare-brise avant et trois dans la carrosserie, le commissaire Broussard sabra le champagne. La France était rassurée.
Aujourd’hui, ce Robert Broussard, Sylvia Jeanjacquot et moi sommes les seuls à pouvoir vous révéler les dessous de l’affaire : l’homme déchiqueté au volant de la BMW immatriculée 83 CSG 75 n’était pas Jacques Mesrine mais sa doublure. Sylvia Jeanjacquot y a perdu un œil et n’a jamais parlé. Le grand commissaire a signé ses mémoires avant de savoir, nul ne peut l’imaginer se ridiculiser, surtout en ignorant la fin de l’histoire. Il se répète peut-être « j’ai rêvé » ou « un affabulateur m’a roulé dans la farine. » Et moi. Qui n’aurait jamais dû savoir. Mon simple bonjour n’engageait jamais à la conversation, quand j’allais m’asseoir en face de la chambre 422, au quatrième étage, ce service oncologie où l’espérance de vie ne dépasse jamais quelques mois.
Jacques Mesrine avait 42 ans en 1979. Né le 28 décembre 1936 à Clichy. Il venait donc tout juste de ne pas fêter ses 82 ans quand il m’apostropha « ah l’ennemi public numéro 1 de Montcuq ! » J’ai dû lui rétorquer un regard de gallinacé frigorifié. Trois jours plus tard, il m’attendait au même endroit « sa mère est arrivée, elle prend la relève pour quelques jours, les informations circulent vite à l’étage ; elles sont rares les familles à s’impliquer autant. Et moi, je peux sortir, regagner la maison de retraite. Alors, plutôt qu’appeler un taxi, je te demande de me ramener. » J’ai refusé. Puis finalement accepté.
Sur sa pierre tombale, il souhaitait graver « dans cette position, je préférais la fellation. » Mais le marbrier a refusé, sous prétexte de trouble à l’ordre public. Puis finalement Jacques Mesrine a choisi l’incinération. Il n’en reste que poussières. Ne supportant pas l’idée d’être déterré pour vérifier, avec l’ADN de ses enfants, la véracité de mes révélations. Oui, il m’a chargé de vous informer. Le professionnel a accepté de graver « Ton espoir la nuit : lumière. CBN », sans naturellement imaginer qu’il s’agissait d’une anagramme. Je n’avais pas la tête à ce genre de raisonnement et il m’a dévoilé la solution : « à l’ennemi public numéro trois. » Pourquoi trois ? « Il faut savoir rester modeste, j’ai vieilli et on m’a forcément dépassé, je ne sais même pas si dans un sondage j’arriverais dans le tiercé de tête. » Quant à son CBN, il recouvre deux significations « Charlot, bonne nuit », Charlot étant le surnom de Giscard dans le milieu. Et « Clignacourt Broussard niqué. » L’art de l’anagramme codé nécessite sûrement des compétences littéraires rares chez un truand, même casé.
Persuadé d’être repéré, « l’instinct mec », Jacques Mesrine avait confié le volant de sa BMW à un « p'tit truand » lui ressemblant vaguement, toujours disposé à rendre service, un fan, en quelque sorte. Le plan consistait pour la doublure à se laisser tranquillement arrêter et dévoiler la supercherie quelques jours plus tard, après les fanfaronnades officielles. Giscard et sa police devant alors y perdre toute crédibilité. Déguisé en femme de chambre, Jacques Mesrine est discrètement sorti, il a marché jusqu’à la gare de l’Est, préférant éviter le métro et pris un billet pour Nancy... Après l'assassinat, il a donc utilisé l’identité de la victime... « Un fils de bourge ayant jeté sa gourme, rompu avec sa famille… » Vingt et une balles à haute vélocité tirées, dix-huit ont touché le corps, déchiqueté, c’est peut-être également une des raisons de l’absence d’investigation sur l’identité de la victime. C'était au temps d'avant l’ADN.
Bien qu’ayant planqué suffisamment pour vivre de peu au moins jusqu’à 150 ans, il a décidé de « travailler comme un travailleur pour éviter la tentation de replonger. » Il a même payé des impôts, et c’est ainsi qu’à la mort des parents de sa doublure, le notaire l’a retrouvé. Ce fut le jack-pot ! Ses quatre enfants ont finalement bénéficié d’une part du gâteau. « J’en avais vraiment trop. » Ils ont naturellement crû qu’un complice exécutait ses dernières volontés, n’ont jamais soupçonné que l’homme leur remettant une enveloppe, c’était tout simplement leur père. « Peut-être comme tous les grands-pères, ne pas voir mes petits-enfants fut le plus pénible. Oui, je suis devenu un autre homme, presque comme les autres. » Sylvia a trouvé une enveloppe dans sa boîte aux lettres.
Avant le Covid, notre Ehpad "Résidence le Quercy Blanc", à Montcuq centre, a eu droit à l’alarme de la cellule de veille sanitaire de l'ARS Occitanie, seuil épidémique atteint, « 25 personnes âgées et 5 membres du personnel » touchés fin mars 2018. Des malades isolés, activités et repas en salle commune stoppés, visites interdites. Une grippe, un virus. Les alarmistes évoquaient « un virus venu de l’étranger. » Puis un nombre de morts finalement considéré par les réalistes/cyniques guère plus élevé que les années précédentes. Après tous, le turn-over est par nature important dans une maison de retraite. Je l’apprendrais plus tard. Mon Amour s’éteignait. Je sombrais.
Début avril, après, après ce qui fut pour le pays « la disparition de Jacques Higelin », on ne s’est revu qu’une fois. Je me souviens mot pour mot d’une de ses phrases : « Un officiellement assassiné en reste marqué à vie. Durant des années, un cauchemar m’a détruit les nuits : au volant, Sylvia à ma droite, le camion bâché devant nous… tout le monde connaît la suite mais les tireurs me trouent la peau, chaque nuit. »
Sa méningite carcinomateuse, également des métastases passées par la colonne vertébrale pour atteindre son cerveau dans une pathologie sans espoir, lui laissait quelques semaines. Il a préféré abréger, « partir avec le tram du virus. » Au matin, il ne se réveillerait pas. Je n’ai entendu parler d’aucun cas suspect. Aucune autopsie n’a donc été pratiquée. Il fut donc sûrement comptabilisé par l’ARS dans le lot des victimes de cette grippe véhémente. Je lui avais promis de raconter, précisant « si j’en suis capable un jour, tu le sais bien. » Il savait. J’en ai assez dévoilé pour un scoop. Je n’aurais rien à regretter, sur ce chapitre.
Vous venez de lire ou écouter un chapitre. Vous pouvez en faire de même page : édito Montcuq Troublant.
Page de la série sketchs. Cette page est issue de MONTCUQ TROUBLANT 2021.
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