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Système D comme d'écrivains (extrait de l'acte 3)
Rémi : - Lendemain de fête !
Thomas : - Radio-réveil plus téléphone, Jean-Paul aussi a dû faire des expériences cette nuit !
Rémi : - Qu’est-ce que tu racontes ?
Thomas : - Tu aurais dû dormir ici, je t’aurais laissé bien volontiers le canapé, j’aurais amené mon matelas gonflable, un duvet et j’aurais fait du camping.
Rémi : - Tu le sais bien, je ne suis qu’à vingt bornes. Et j’ai un chien, un chat, ça s’ennuie vite ces petites bêtes.
Thomas : - Mais au moins si tu avais été là, ça m’aurait évité de voir débouler Jean-Paul en rut dix minutes après le dernier verre de notre beuverie.
Rémi : - Tu lui as lancé un seau d’eau pour le calmer… Ou de Coca plutôt ! (il regarde la boîte par terre et la flaque)
Thomas : - Je l’ai envoyé voir Georges !
Rémi regarde Georges.
Georges : - Je confirme, il n’a pas osé venir… Il aurait vu que mon poing c’est du 46… Il sait de quel bois je me chauffe. Mais je vois que ça balance sur les copains… (Georges hésite à en dire plus)
Thomas : - C’est bien ce que je pensais : il s’est contenté de son radio-réveil et son téléphone.
Françoise sourit : - Sa femme vient au salon cette après-midi…
Thomas sourit : - Nous attendons tous les présentations !
Georges, regarde Rémi : - Bon, Rémi, de toute manière, quelqu’un va s’empresser, dès que j’aurai le dos tourné… Puisque Jean-Paul s’est précipité pour raconter à Thomas…
Thomas, à Françoise : - Qu’est-ce qu’il raconte, notre cher et ténébreux collègue ?
Françoise : - On entend tout de ma chambre… D’ailleurs cette nuit je n’ai pas raté un mot de ton duel avec Jean-Paul… Tu as été super résistant ! Et correct en plus ! La situation était périlleuse.
Georges : - Bon, c’est pas trop vous demander qu’il y ait un secret entre nous.
Rémi : - Ha ! J’ai compris ! Alors Françoise, toi qui réponds toujours « néant. »
Françoise et Thomas se sourient.
Georges : - Le premier qui prétend que le néant et moi c’est la même chose, je lui fous mon poing sur la gueule.
Rémi, à Françoise : - Il est gonflé ton copain ! Il se vante de sa conquête alors que personne ne m’en aurait parlé, et après si on en fait une pièce de théâtre, il va nous casser la gueule.
Thomas : - Tu vas te mettre au théâtre aussi ?
Rémi : - C’était juste pour rire, je ne voudrais pas me fâcher avec vous !
Thomas : - Aucun événement exceptionnel à signaler à Cahors depuis la disparition de Gambetta, mais un samedi soir rue Voltaire, un exploit digne de la célèbre prise de la Bastille, c’est une forteresse imprenable…
Françoise : - De toute façon je ne me souviens plus de rien.
Georges : - C’est charmant !
Françoise : - Fallait pas terminer au Cognac.
Rémi : - Whaou, encore plus fort qu’à Firmi !
Françoise : - C’est vrai, quelle surprise quand je t’ai vu à côté de moi et Jean-Paul tout sourire ! Si j’étais peintre ce serait le moment que j’immortaliserais.
Georges : - C’est la faute à Thomas et Jean-Paul, leur conversation intime m’intriguait et on entendait mieux de ta chambre.
Françoise : - Alors ce n’était pas une excuse !
Georges : - Bon, arrêter les salons dans la région sera peut-être nécessaire, je vais devenir votre tête de turc.
Thomas : - Faudra réussir ton acrostiche.
Jean-Paul, habillé différemment de la veille, très parfumé, entre.
Thomas : - Quand on parle d’acrostiche, on voit sa… mèche. Et son caniche !
Jean-Paul : - Vous en profitiez encore pour vous foutre de moi ? C’est un monde, on ne peut pas avoir le dos tourné cinq minutes…
Françoise : - Crois-moi, on n’a pas eu le temps… Georges a accaparé l’attention générale.
Jean-Paul : - Alors, bon souvenir, ce salon ?…
Georges : - Bon, tout le monde m’a promis d’être discret, il ne manque plus que ta promesse… Ma baronne vient cette après-midi.
Rémi, en souriant : - On n’a rien promis.
Jean-Paul : - Mon ami, tu le sais bien, je ne suis pas du genre à mettre un ami dans l’embarras. Tout le monde a ses petites faiblesses (coup d’œil discret à Thomas qui sourit).
Françoise : - Alors la cheftaine ?
Jean-Paul : - Rémi aurait ajouté une note, un do, aurait mal compris ou interprété ses propos.
Rémi : - Et qui tu crois ?
Jean-Paul : - Tu sais bien ! Et en plus je t’offre le petit-déjeuner.
Rémi : - Je me suis levé comme chaque jour à six heures, donc tu devines où il est déjà mon petit-déjeuner… Mais bon, je ne suis pas pressé, ça m’étonnerait que je réalise ma première vente ce matin. Sauf si Georges, en signe de reconnaissance, se décide à m’en acheter un.
Thomas : - Pour l’offrir à Françoise !
Rémi, Françoise et Thomas sourient. Françoise se lève, va vers la table et pousse tout vers un bord, Georges va l’aider.
Rémi : - Ils pourraient faire un beau couple.
Thomas : - Un couple d’écrivains régionaux, ils publieraient des livres à quatre mains, cumuleraient leur notoriété.
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Patrick entre avec le café et des tasses.
Jean-Paul va à la cuisine et revient avec un plateau, deux baguettes, des biscottes, deux pots de confiture, du beurre.
Jean-Paul : - Je suppose que personne ne va prendre un bol de lait.
Françoise : - Y’a des mots, interdit de les prononcer certains matins.
Tous s’assoient.
Patrick sert le café. Jean-Paul coupe du pain. Silence.
Rémi : - Je suis certain que c’était plus animé hier soir… Aucune insinuation au feu d’artifice de cette nuit.
Thomas : - Avec musique d’ambiance en direct du plafond !
Rémi : - Au fait, tu écris encore des chansons ?
Thomas : - Forte baisse de ma production. Seulement dix-sept textes l’année dernière et trois depuis le premier janvier.
Jean-Paul : - Et tu réussis à en placer ? Parce que moi, à part la meuf de Limoges qui m’a fait vachement plaisir en m’écrivant souhaiter absolument chanter « un homme presque comme toi », je n’arrive pas à dénicher les bons contacts. Tu n’aurais pas un bon plan ?
Thomas : - Les chanteurs préfèrent conserver l’intégralité des droits en blablatant leurs petites merdes, on est tous face au même dilemme… Sur dix-sept textes l’année dernière, une dizaine sont mis en musique mais un seul est en exploitation, celui retenu par le concours du cabaret studio.
Jean-Paul : - J’ai été dégoûté. C’est quoi leurs critères ? Je comprends pas pourquoi mes textes n’ont pas été retenus, au moins un… Ils sont pourtant très beaux, très poétiques. L’un reprenait même la belle définition de Cocteau pour la poésie : mettre la nuit en lumière… (il attend un commentaire… silence) j’avais même retravaillé un poème de ma jeunesse, très humoristique (il sourit) : l’idée, comme Platon parle du monde des Idées, l’idée est totalement originale, elle devrait te plaire Thomas : qui vend des œufs pourra s’acheter un bœuf (silence ; aucune réaction) Comment tu as fait, toi ?
Thomas : - Comme toi, j’ai envoyé trois propositions et attendu.
Jean-Paul : - Tu crois que d’avoir des sites Internet, ça t’a aidé ?
Thomas : - On t’a déjà demandé si le fait de vivre à Cahors, rue Voltaire comme le maire, ça t’a aidé pour obtenir une bourse du Centre Régional.
Jean-Paul : - Oh ! Je t’ai déjà juré ! Je ne me suis jamais compromis ! Ne me confonds surtout pas avec Victor ! (Thomas sourit)
Françoise : - Pourquoi t’es pas chanteur ?
Thomas : - J’arrive déjà pas à réaliser la promo de mes livres trois fois par an, à rester assis une heure de suite lors d’un salon, alors tu me vois répéter x fois dix ou quinze chansonnettes… Il y a tant de livres à lire, tant d’émotions à écrire… C’est vraiment pas conciliable, écrivain et chanteur.
Rémi : - Pourtant la plupart des chanteurs écrivent leurs textes.
Thomas : - Mais ils ne sont pas écrivains ! Plutôt qu’écrire leurs textes, vaudrait mieux résumer par « pisser des lignes. » Ce sont des paroliers. Ils ont trouvé leur style, le bon procédé, et ils referont la même chose jusqu’au dernier album. Finalement, ce qu’ils cherchent c’est à se montrer, à plaire, écrire douze ritournelles chaque année ou tous les cinq ans, c’est alors une petite formalité. C’est pitoyable, tu ne trouves pas ?
Rémi : - C’est une manière de voir… Je croyais que tu aimais bien la chanson.
Thomas : - La chanson m’intéresse pour son potentiel créatif. Mais l’état de la chanson française, c’est électrocardiogramme plat. Certains ont même un nègre pour ça !
Françoise : - Nègre de chanteur, tu pourrais restaurer le toit de ta maison avec ce petit job !
Thomas, sourit : - Je crois avoir assez causé pour la matinée. Game over… Ça ne sert à rien ce genre de mascarade. Je crois que je vais annoncer mon boycott des salons.
Françoise : - Dépêche-toi avant que plus personne ne t’invite !
Thomas : - Je ne peux quand même pas faire semblant de croire en leur amour des arts. Notre rupture définitive est inévitable.
Françoise : - Mais ça doit être tes commentaires qui énervent quelques personnes… Surtout une habillée en blanc hier… Je dis ça au cas où tu ne t’en serais pas aperçu.
Thomas : - Hé bien oui, je n’ai pas applaudi le discours du vénérable Président du Centre Régional des Lettres. J’ai même commenté un peu fort. Et pourquoi me gênerais-je de rappeler avoir payé ma place ?
Françoise : - On en est tous là.
- Extrait de "Système D comme d'écrivains". Toutes les infos sur la pièce et son édition en avril 2021.
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