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Système D comme d'écrivains (extrait vers le milieu de l'acte 1)
Françoise revient avec cinq assiettes.
Victor : - Non, ma Fano adorée, pas pour moi, tu sais bien que monsieur le maire (JM Vayssouze-Faure n'était pas encore maire) m’offre le repas… (il regarde sa montre) D’ailleurs je ne vais plus tarder…
Thomas : - Et nous on squatte !
Georges : - Système D !
Thomas : - Comme d’écrivains !
Françoise, en souriant : - Comme déroute, dérive, décomposé, délabré, démodé.
Elle pose les assiettes, boit une gorgée et retourne dans la cuisine.
Georges : - À part des poules, tu as quoi comme bêtes ?
Thomas : - Deux dindes, un dindon, deux oies, trois canards, des pigeons, des cailles.
Georges : - Tes bouquins, Internet et tes bêtes, tu t’en sors alors ?
Thomas : - Tant qu’ils ne m’auront pas viré du Rmi, j’essayerai de le garder.
Georges : - Oh, ils ne virent pas du Rmi.
Thomas : - Là ça devient limite, ils m’ont encore baissé… Pour absence de recherche effective de travail classique ! Ils prétendent mon projet Internet irréaliste, que personne « n’achètera des produits culturels sur la toile », qu’on peut n’y obtenir aucun revenu d’un site, qu’il s’agit d’un passe temps. Je leur ai répondu en recommandé : « Messieurs les censeurs, vous n’avez aucune légitimité artistique pour juger de ma démarche littéraire. Et vos analyses financières témoignent de votre incapacité à regarder l’avenir autrement qu’avec vos vieux modèles antédiluviens. »
Georges : - Et tu feras quoi, si tu n’as plus le Rmi ? Tu n’auras plus de couverture sociale non plus…
Thomas : - Internet prendra le relais. Les chèques commencent à pleuvoir, c’est même surprenant ! Et ne perdons pas notre temps avec des problèmes possibles. Chaque jour est une équation à résoudre où ni le passé ni le futur n’ont leur place.
Georges : - Comme Jean-Paul n’est pas là, on peut parler d’auto-édition… Tu crois que dans le secteur jeunesse, ça pourrait fonctionner ?
Thomas : - Tes pavés sont bien distribués… Mais le plus souvent ton nom ne figure même pas sur la couverture… Donc tu ne peux pas compter sur ta notoriété.
Georges : - Je suis à moral zéro… Là tu m’enfonces encore un peu plus la tête sous l’eau…
Thomas : - Pour répondre correctement à une question, mieux vaut ne pas se bercer d’illusions, (plus bas, en souriant :) si tu veux des louanges, déshabille-toi devant Jean-Paul !
Victor : - S’il présentait le 20 heures, je ne dis pas non ! J’ai connu pire. Mais là, le jeu n’en vaut pas la chandelle (personne ne l’écoute).
Georges : - C’est vrai qu’au niveau notoriété c’est néant, partout je dois préciser « j’ai publié vingt livres. » Quand j’ajoute le nom des éditeurs, là les gens me regardent autrement… (plus bas) Mes éditeurs n’ont pas fait faillite, moi. Et pourtant le CRL ne m’a toujours pas accordé de bourse. Vous trouvez ça juste, vous ?
Thomas : - Ton épouse est trop riche ! Vous devriez magouiller un peu, divorcer par exemple.
Georges : - Tu plaisantes, Thomas. On a des principes, dans la famille. (plus bas) Déjà que je loge chez un…
Thomas : - Parfois nécessité fait loi… Et la branche jeunesse, c’est encore pire que le roman, les réseaux de distribution sont complètement verrouillés.
Georges : - Mes meilleures ventes se font en grandes surfaces… Je suis même persuadé qu’elles dépassent celles notées sur mes relevés.
Thomas : - Si tu envoies un huissier pour vérifier leur comptabilité, là tu es certain d’être grillé sur toute la place, de Paris à Toulouse.
Georges : - C’est une vraie mafia. Tu vois, malgré mon catalogue, j’ai l’impression d’être un petit enfant devant remercier quand on lui signe un contrat. Pour le 1%, j’ai répondu « mais avant j’étais à 3. » Elle ne s’est pas gênée, la blondasse platine, de me balancer : « vous pouvez refuser, un autre sera enchanté de l’opportunité. »
Victor : - Une mafia, tu l’as dit. Un pour cent à l’auteur, un pour cent à l’illustrateur, ils doivent considérer que sortir deux pour cent c’est encore trop. J’ai compris avec mon premier livre, vous savez que j’avais un éditeur. Ils m’ont fait une pub dingue c’est vrai mais au moment de payer, y’a fallu que je fasse intervenir un bon copain.
Thomas : - C’était mafia contre mafia !
Victor : - Si je raconte tout dans mes mémoires, vous en découvrirez de belles mes amis. Faut pas m’emmerder, sinon je tire dans le tas. La prison, je connais.
Le cri de Jean-Paul, dans la cuisine, interrompt la conversation.
Jean-Paul : - Aïe… Je me suis brûlé, vite ! Oh Charlus ! Oh ça fait mal… de la glace, vite de la glace… dans le haut du frigo… Aïe… Que ça fait mal…
Georges : - Un drame de l’écriture…
Thomas : - On parlait du système D d’écrivains quand des cris vinrent.
Georges : - Interrompre Victor.
Victor : - C’est pas plus mal. Je vous ai déjà raconté, je crois, la bande Sétoise qui a voulu racketter mon premier restaurant. Mais j’en dis trop parfois. C’est entre nous, trois ans au trou quand même. Vous êtes des amis. Mes fils ont toujours peur que ça revienne aux oreilles des élus. Disons que je plaisantais... Pauvre Jean-Paul.
Thomas : - Il va demander un arrêt de travail.
Georges : - On ne peut pas le soupçonner de s’être brûlé pour attendrir Françoise, qu’elle lui applique tendrement des compresses.
Thomas : - Ça change, parfois, un homme !
Georges : - Y’a des cas désespérés…
Victor : - Y’a des techniques plus rapides et moins douloureuses. Si vous voulez, je vous en expliquerai quelques-unes.
Thomas : - Ou alors il ne s’est pas brûlé… Il a réalisé une expérience avec un œuf !
Georges : - Et l’œuf a explosé au mauvais moment ! Tu prépares une saga X reality rurale dans ta petite ferme ?
Victor : - C’est vrai que le coq avec les poules, il ne perd pas son temps à répondre à des sms, à écouter leurs petits malheurs ! La civilisation n’a pas apporté que des bonnes choses… C’était quand même le bon temps, le restaurant !
Jean-Paul arrive en secouant la main gauche dont le dessus est recouvert d’un sparadrap. Françoise suit avec la poêle dans la main droite, la casserole de pâtes dans la gauche.
Jean-Paul : - C’est affreux, quelle douleur.
Thomas : - La douleur est une invention du corps pour se protéger des agressions extérieures. Remercie plutôt ton organisme !
Françoise pose l’ensemble sur la table.
Jean-Paul : - Parfois, tu débloques complètement !
Thomas : - Ta main vient de te signaler qu’il ne faut pas la détruire. Si tu as retenu la leçon, remercie ta douleur et fredonne-lui « bonne nuit la douleur »… Il te suffit de te convaincre en répétant « ça ne fait pas mal. »
Françoise reprend la poêle.
Françoise, à Thomas : - Tu veux que je te la colle pour tester ta théorie ?
Jean-Paul : - Tu veux la voir ma cloque ?
Françoise : - Tu parles de celle à la main gauche ou Thomas doit se méfier ?
Georges : - On a évité un drame, si c’avait été la droite, demain tu ne pouvais plus dédicacer…
Jean-Paul : - Je suis gaucher.
Georges : - Donc c’est un drame.
Thomas : - Il faut prévenir la Dépêche du Midi…
Jean-Paul, en s’asseyant : - Allez, servez-vous… J’ai connu pire !… Mais en ce temps-là c’était volontaire !
Françoise : - L’autofiction masochiste selon Saint Jean-Paul III.
Georges : - J’hésite... Je n’ai jamais vu une omelette aussi jaune.
Victor : - Au restaurant, on avait un chef extra. Il utilisait de ces colorants, certains étaient même interdits ! Les plus beaux plats de la région, qu’on servait ! Il avait le tort de s’en goinfrer l’Alfred, il est mort d’un cancer.
Georges : - Vous avez ajouté du maïs ?… Vous savez bien que je suis allergique au maïs…
Thomas : - Tu les trouves où tes œufs ?
Georges : - Comme tout le monde, au supermarché.
Thomas : - Et elles mangent quoi les poules qui pondent dans tes barquettes ?
Georges : - Élevées en plein air.
Thomas : - En plus d’être élevées en plein air, les miennes choisissent leur herbe, retournent le sol pour y dénicher de bons petits vers de terre, attrapent des criquets, des escargots.
Georges : - Ah ! Des criquets, des escargots ! Ce n’est pas naturel ! Tu crois que c’est bon pour les poules ?
Thomas : - Goûte ! Je te croyais spécialiste de la nature ! La nature vue des villes ! Les poules n’ont pas attendu les nutritionnistes des multinationales pour exister. Tu vas voir la différence.
Jean-Paul : - Tu es sûr, Victor, de ne pas au moins la goûter, l’omelette aux œufs de Thomas ?
Victor : - Ce serait avec plaisir. Mais je ne peux quand même pas arriver le ventre plein à la réception de monsieur le maire (il regarde sa montre). D’ailleurs je vais vous laisser.
Françoise : - Tu vas quand même prendre un verre de vin avec nous ! Et le vin ?… (tous sourient) Quoi, j’ai l’air de réclamer ?… Mais non Jean-Paul !… Comme tu nous invitais j’ai amené une bouteille.
Elle se penche, ouvre son sac, et en sort une bouteille.
Françoise : - Bon, c’est du Cahors… mais on n’a pas encore vendu 200 000 exemplaires…
Georges : - Avec les traductions, je dois y être… Mais j’aurais sûrement touché plus d’argent avec mille en auto-édition.
Françoise : - Ah ! Vendre mille bouquins en auto-édition… on en rêve tous !… Alors malgré tes 200 000 tu n’as pas les moyens de nous offrir une bouteille ?…
Georges : - J’attendais que la tienne soit vide pour proclamer « j’ai gardé la meilleure pour la fin » mais bon… (il se baisse et sort de son sac une bouteille) C’est du Buzet ! C’est quand même meilleur que du Cahors…
Françoise : - On verra, on verra, ne vendons pas la peau du Cahors avant la dernière goutte.
Elle se penche et sort de son sac une autre bouteille.
Françoise : - Cahors 2 Buzet 1. Et le Malbec local nous ouvrira le plus les portes de la perception !
Georges : - Là, Thomas, avec tes trois œufs tu gagnes le label radin !
Thomas : - Bon, alors je dois la sortir avant l’heure prévue…
Thomas se lève, va à son sac, en sort une bouteille.
Jean-Paul : - Oh ! En plus des œufs, du champagne, je suis touché.
Thomas : - Ce n’est pas tout à fait du champagne, mais quand on aura vidé le vin, un bon mousseux nous paraîtra sûrement meilleur que du mauvais champagne.
Jean-Paul : - Je ne sais pas si tout ça, ça s’accorde avec une omelette et des pâtes… J’avais prévu du rosé… Mais les mélanges, pour des écrivains, c’est toujours souhaitable… Mélangeons, mélangeons-nous !
Georges : - Bon, je tire la conclusion, c’est moi le radin avec une misérable bouteille.
Françoise : - Mais non, on le sait bien, ta femme te surveille. Déjà pour sortir du Buzet, tu as dû inventer des stratagèmes pas possibles !
Georges : - Pire que cela, je l’ai achetée en cachette et cachée au fond d’un carton.
Jean-Paul : - Pas étonnant d’une femme.
Françoise : - Tu lui conseilles un changement de bord ?
Georges : - C’est vrai que je suis le seul marié ici !
Victor : - Mais je le suis mon ami ! Quarante ans de mariage ! Peut-être même plus !
Georges : - Faut pas demander si tu ne l’étais pas !
Victor : - Impensable. Une épouse est indispensable à un homme comme moi. Mais tu ne crois quand même pas qu’en plus de la câliner entre mes quatre murs, je vais la laisser me suivre ! J’ai passé l’âge !
Jean-Paul se lève et sort. Georges et Françoise se sourient.
Georges : - Pourtant je n’ai pas parlé d’éphèbes sur une plage…
Jean-Paul revient avec un tire-bouchon. Il ouvre une bouteille de Cahors puis remplit les verres. Ils trinquent.
- Extrait de "Système D comme d'écrivains". Toutes les infos sur la pièce et son édition en avril 2021.
Puisque j'ai cité JMVF, vous pouvez également consulter sur ce portail lotois : Alain Lalabarde - Marie-José Sabel - Patrice Caumon - Aurélien Pradié - Dalaï-Lama - Emmanuel Macron - Huguette Tiegna - Martin Malvy - Gérard Miquel - Maryse Maury - Marc Gastal - Catherine Ferrier - Michel Prosic - Jérôme Filippini - Jean-Luc Mélenchon - Nicolas Sarkozy - le Général de Gaulle - Bernadette Chirac - Alain Juppé - Jean Castex ou Jean-Marie Bigard.
Page de la série cahors.
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