romans, théâtre, confidences... sortie janvier 2007 extraits


Extrait Stéphane Ternoise

 

Global 2006

 

Romans, théâtre, chansons, poésie, chroniques,

manifestes, confidences...

 

 

Jean-Luc PETIT Editeur


Sommaire

 

comédies 

 

Neuf femmes et la star

 

Chanteur, écrivain : même cirque

 

Les écrivains et la libraire

 

Romans

 

Quand les familles sans toit

sont entrées dans les maisons fermées

 

Viré, viré, viré,

même viré du Rmi !

 

Divers

Chroniques

Poésie

Courriels à Gaëlle

Dernière lettre …

Nicolas Sarkozy est une chance pour les chansonniers

Manifestes

Sketches (et contes)

Confidences et réactions

Autres chansons

 

Ne pas rater : les livres essentiels (papier et numérique)..

Présentation :

 

Du livre papier au travail de l’écrivain

 

Le « livre papier » a imposé des normes, des bornes : une seule forme (roman, essai, nouvelles…) et un thème.

Des professionnels, libraires, bibliothécaires, chroniqueurs, éminences ministérielles, exposent doctement : « Si vous sortez de ces exigences, la classification devient ingérable, un document doit s’insérer dans une catégorie facilement identifiable et répertoriée par les us et coutumes. » Il faut pouvoir ranger les bouquins !

Un jour le livre papier sera rangé, bien rangé, ne sortira presque plus des rayons et cartons. Des classiques aux nouveautés, tout sera numérisé. Et les écrits « libres de droits » (soixante-quinze ans après la disparition de leur auteur, ou avant conformément à sa décision) seront enfin accessibles gratuitement.

 

2006 est au cœur de la période de transition : la vie d’une œuvre ne se limite déjà plus à sa lecture sur feuillets reliés ou aux « bonnes pages » reprises par un magazine : la version numérique peut circuler librement sur la toile. Certes nettement moins qu’une chanson. Simplement pour des raisons techniques : convertir un fichier musical numérique en fichier musical numérique allégé, genre MP3, aisément transmissible et lisible, se réalise en quelques clics quand scanner un livre exige, pour un résultat correct, de le désosser, détacher page par page… et il reste plus pratique d’écouter de la musique près d’un ordinateur, avec un son correct, ou graver un CD, la télécharger sur un Ipod, que de lire les caractères agressifs d’un écran, en position figée (imprimer des centaines de pages nécessitant un courage supérieur à la moyenne).

 

Je pratique la distribution des versions numériques depuis déjà des années, d’une manière sûrement prétendue marginale par des sommités… d’une manière me permettant… de continuer, d’en tirer des ressources nécessaires et suffisantes… grâce aux « droits dérivés », indépendants du texte, la communication de « liens commerciaux » aux internautes intéressés par mon catalogue automnes-hivers, printemps-étés (comédies-vers, romans-essais).

Pour vraiment continuer, l’écrivain doit vivre de ses écrits. Idéal rare ! Ainsi la majorité des installés paradent avec leur bibliographie de best-sellers mais cachetonnent les critiques et chroniques (naturellement ils encensent les auteurs de leur chapelle, leur éditeur).

Mes livres se vendent peu, mes écrits connaissent une audience nettement supérieure à celle de la majorité de mes presque confrères.

 

Une année, sans être un journal. Si des analystes s’intéressent à ces pages, ils populariseront peut-être la classification « livre global ». Peut-on échapper à la mise en case ?

Premier tome. Bien intégrer le contexte d’un écrivain (en France mais ailleurs aussi) : chaque parution est une victoire contre le rouleau compresseur des conformismes, les préjugés distillés à une société friande de ce poison.

Albert Einstein toujours d’actualité : « nous vivons une époque triste. Il est devenu plus facile maintenant de scinder un atome que de casser un préjugé. »

L’écrivain indépendant n’est pas un véritable écrivain ! L’écrivain doit avoir été validé par un éditeur parisien, véritable institution aux compétences innées, sphinx omniscient… Le citoyen désireux d’utiliser le noble qualificatif devra montrer allégeance afin de recevoir l’adoubement ; il pourra se considérer arrivé quand il obtiendra un prix de référence, de préférence le Goncourt ou le Renaudot.

Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés auront ouvert la barrière.

 

J’aborde ainsi un troisième quintuptyque. Après les premières publications sous mon nom de naissance puis les cinq suivantes avec le pseudonyme Stéphane Ternoise. Cette fois, c’est donc une transformation de forme. Naturellement, si l’intention de mener cette expérience durant un quinquennat existe, seul l’aboutissement pourrait permettre une véritable étude de ce travail en séries. Ou alors ce sera un quintuptyque inachevé !

 

« Un peu fouillis » ? C’est oublier qu’une année compte presque 365 jours d’activités ! Un peu moins certes pour ces pages achevées en novembre. Et le jour naissant peut différer du précédent !

Fouillis quand même ? Les romans seront diffusés suivant leur thème, les comédies sur comedies.es ou piecesdetheatre.net, la poésie sur poesie.pl, les courriels sur courriels.info, les contes sur contes.es, les chansons sur auteurdechansons.net, cdsarkozy.com, les sketches sur sketches.fr…

 

Equilibrisme certes : ce livre n’est pas « l’ensemble des écrits » de l’année. Des brouillons, des notes, serviront peut-être plus tard. Une trentaine de pages furent même supprimées lors de la composition.

 

S’il faut un fil conducteur : l’époque. L’écrivain doit se confronter à son époque ; ainsi uniquement il peut réveiller les consciences (si elles le veulent bien), témoigner (s’il évite les autodafés).

 

Près du figuier, novembre 2006 (déjà)

 

 

 

P.-S. : livres et CD survivront à la dématérialisation usuelle, existeront à côté de la version numérique. Un objet rassure le créateur sur la réalité de sa création. Pour les lecteurs comme pour les fans de chansons, tenir un objet tisse un lien avec le créateur. Au-delà même du phénomène de collection.

Naturellement, les tirages chuteront et la production jetable se limitera aux exemplaires numériques.

 

 

 

Roman

 

Quand les familles sans toit

sont entrées dans les maisons fermées

 

1

 

Quatre ans déjà : Séverine et Stéphane, je les ai vus pour la première fois un matin de juin : je déjeunais sous un cerisier, le Napoléon ; ils montaient vers Pech-romane, s’étaient arrêtés à hauteur du figuier, m’avaient crié en cœur et tout sourire « bon appétit » ; quelques banalités plus tard, je les invitais à participer à ma cueillette matinale ; il passe si peu de monde par ici, début juin… enfin… si Séverine ne m’avait pas instantanément captivé, aimanté, subjugué, bouleversé, ils auraient pu continuer leur ballade…

Ils se présentaient naturellement (trop naturellement ?), m’apprenaient venir de Toulouse, s’être arrêtés la veille par hasard, avoir traversé la colline, découvert une cazelle, s’y installant pour la nuit en camping sauvage, être tenté d’y rester quelques jours.

Elle connaissait le terme cazelle ! Et même son quasi-synonyme gariotte ! Le plus souvent les vacanciers demandent « ça s’appelle comment, les petits abris en pierres, ronds, à l’abandon, avec une petite ouverture sur le devant ?… »

Cinq minutes et quelque chose me semble bizarre dans ce « couple » : la flamme dans les yeux de cette princesse quand il la regarde, immédiatement éteinte dès qu’il cesse de l’observer ; pourquoi joue-t-elle des sentiments non éprouvés ?

Le soir je me raisonnai : « non, tu cherches la petite bête, tu t’accroches à la moindre petite faille, tu ferais mieux de vivre simplement la réalité, telle que tu l’as voulue, acceptée, au lieu de rêver : elle est apparue, elle t’a envoûté mais elle a continué son chemin, elle en aime un autre, elle va disparaître dans le brouillard de tes mirages d’amour et tu vas revivre comme avant. »

Je me parlais déjà souvent et des observateurs m’auraient sûrement décrit « dérangé » ou « victime de sa solitude. » Pourtant je considérais déjà cette manière de vivre plus digne… que bien d’autres.

 

2

 

Depuis des années, marcher restait mon unique activité sportive. Même le vélo, je l’avais abandonné, trop de montées. Je n’ai jamais autant fréquenté les sentiers de la colline que cet été-là. Ils s’y trouvaient le plus souvent, près de la cazelle. Elle lisait, il la photographiait. Ils passaient aussi régulièrement. Nos relations pouvaient être qualifiées de cordiales, de bon voisinage, une forme « d’amitié naissante. » Ils ne posaient aucune question indiscrète et je respectais aussi cette frontière. Ils savaient pouvoir se servir aux arbres…

Je n’ai jamais réussi à la voir seule. Et trois mois plus tard, ils emménageaient « chez l’anglais de Pech-romane », Stevenson. Les commentaires au village furent plutôt favorables : au moins une maison qui ne sera plus fermée onze mois par an. Certes, l’absence d’emploi connu des locataires éveillait la curiosité et de nombreuses hypothèses circulaient, les plus pessimistes redoutaient une nouvelle vague de cambriolages. Comme à mon arrivée !

Ici, c’est le Quercy blanc, un des nouveaux pays de résidences secondaires ; après une razzia sur la Dordogne, les friqués ont découvert nos pierres et les prix ont flambé. Depuis, même une grange, un smicard, aucune banque ne lui prêtera suffisamment pour qu’il puisse l’acheter. Je suis arrivé avant, juste avant, quand les maisons se vendaient une bouchée de pain. Ils sont nombreux à regretter de ne pas l’avoir acquise, cette propriété. En ce temps-là ils la considéraient trop délabrée. Le notaire surtout ne se le pardonne toujours pas ! J’ai manqué de flair ! En moins de cinq ans, il aurait multiplié le prix par dix.

L’artisan du village m’a même proposé de rafistoler gratuitement le toit d’une dépendance… « Gratuitement »… c'est-à-dire contre une autre dépendance… Pardi, avec quelques travaux, il pourrait en obtenir un sacré magot !

Mais rien n’est à vendre. Un jour, peut-être, je « rénoverai » ; de toute manière, payer ce genre d’arnaqueur, jamais : embaucher directement quelques ouvriers compétents serait préférable mais ils sont sûrement difficiles à dénicher dans un pays où l’état favorise le salariat au détriment du travail indépendant ; peut-être dans une autre phase de ma vie, je chercherai ; je suis venu ici pour vivre une décennie de « formation », de lectures, une forme d’adolescence studieuse… et solitaire.

Les gens d’ici se demandent encore pourquoi je me suis ainsi isolé. Ça ne se fait pas ! Ce n’est pas normal… ça doit cacher quelque chose…

Séverine et Stéphane sont les premières personnes avec qui j’ai dépassé les banalités de simple politesse. Un vieux couple de presque voisins m’avait bien invité à prendre l’apéritif cinq semaines après mon arrivée mais c’était l’occasion, pour lui, de balancer en me fixant droit dans les yeux « j’ai un fusil chargé dans chaque pièce, le premier qui s’approche sans être attendu, il peut faire ses prières. » La surprise dissipée, une « bonne » répartie m’était venue : « je vous conseille de faire votre prière chaque soir avant de vous endormir… Imaginez qu’une souris égarée appuie sur la gâchette… » Depuis, il s’est calmé, au cimetière.

En règle générale, échanger trois banalités, c’est récolter la question :

- Et vous faites quoi dans la vie ?

La première fois mon explication s’est limitée à un simple sourire et la répartie pensée idéale m’est venue le soir :

- J’essaye de vivre, vivre dignement. Et c’est nettement plus compliqué que le pensent les personnes dont la vie s’égrène sans réfléchir à cette possibilité de ne pas gâcher le peu de jours autorisés sur Terre.

Mais simplement sourire fut ma réponse aussi les fois suivantes, réponse préférable : ils ont depuis le premier jour leur idée sur moi et on ne renverse pas un tel préjugé avec une réplique trop compliquée pour leur cerveau.

 

Théâtre

 

Neuf femmes et la star

 

Comédie contemporaine

 

Sujet : sept femmes ont gagné un concours leur permettant de passer 24 heures avec leur idole, le chanteur Antonin K.

Secrétaire de l’association organisatrice, Odette, un peu gaffeuse même à jeun, les accueille.

Arrivées programmées à la file indienne. Mais l’idole est en retard…

 

Acte 1

 

Odette seule dans la salle de réception. Elle marche de long en large, tout en regardant sa montre, inquiète.

 

Odette, en arpentant la scène : - Je ne marche pas par nécessité. Mais ça me calme ! Calme-toi Odette, puisque tu marches ! Tu fais tout ce qu’il faut pour recouvrer ton calme légendaire. Respire ! (elle respire profondément) oui, avec le ventre, c’est bien…

Elle continue en silence à marcher, inspirer et expirer profondément.

 

Odette : - La première va arriver… elle va arriver, j’en suis certaine… tout va encore foirer et ça va retomber sur qui ? sur ma tronche comme d’habitude… je ne me suis quand même pas trompée de jour ? (elle prend une chemise sur le bureau, l’ouvre…) ce serait une belle histoire à raconter ! (elle sourit) Odette panique mais elle s’était trompée de jour !… non, c’est bien aujourd’hui… l’arnaqueur de fleuriste a livré ce matin, donc c’est bien aujourd’hui !… et la première va arriver. (silence) Mais qu’est-ce qu’il veut se prouver ! Il a tout : l’argent, la gloire, sept résidences secondaires, trois Porsche, un 4x4, des vignes, des autruches, des bisons, des enfants. Et comme elles sont belles ses filles ! Pauvres petites filles riches, va ! Comme ça doit être invivable, fille de star !… Le fou ! Tout ça à cause de quelques rides ! Qu’est-ce qu’il croyait ! Et de l’autre, qui s’amuse, avec ses parodies. Quel impertinent ! Mais comme c’est drôle ! (elle éclate de rire) Après tout, je m’en fous si tout foire. Pierre qui roule n’amasse pas mousse ! (elle lance la chemise sur le bureau ; peu importe si elle atteint sa cible) Odette philosophe, parfaitement (elle se vautre dans le canapé) Si j’étais star, je crois que j’aurais aussi des caprices de star. (de sa main droite elle mime un éventail) Mais pas sept !

 

On Sonne.

Odette : - Oh peuchère ! Enfin ! Il a fini de se maquiller ! Oh ! Les lumières !…

 

Elle se lève, se précipite sur les interrupteurs – après quelques essais transforme la pièce, qui devient très intimiste – et fonce vers la porte, s’arrête, souffle, ouvre, s’apprête à sauter au cou de son idole (même si elle est salariée de « l’association », elle reste fan)… c’est Aurélie… Odette s’arrête net.

 

Aurélie, un petit sac en main, surprise : - Je suis la première ? Je suis un peu en avance ?

Odette, se reprenant : - Entrez, entrez, Aurélie.

Aurélie : - Comme vous connaissez mon prénom, j’en déduis que je ne me suis pas trompée d’adresse (elle observe le décor, qu’elle doit juger très… intimiste).

Odette : - Entrez, entrez, Aurélie. Antonin devrait être là, il a… un léger retard.

Aurélie : - Ah, je comprends, c’est lui que vous vous apprêtiez à accueillir d’une manière aussi fougueuse !

Odette : - Mais non, mais non… j’ai glissé.

Aurélie, en souriant : - Et je suis la première ?

Odette : - Naturellement… Je veux dire, vous pouvez le constater.

 

Odette referme la porte.

 

Odette : - Je vais le rappeler… (elle sort son portable d’une poche et appelle ; à Aurélie :) c’est toujours son répondeur. C’est son répondeur depuis une heure. Je l’ai bien déjà appelé dix fois (elle remet son portable à sa place).

Aurélie : - J’espère qu’il ne lui est rien arrivé de grave ! Ce serait trop bête ! J’ai tellement rêvé de cet instant ! Rencontrer Antonin ! Pouvoir lui parler comme je vous parle…

Odette : - Parler, parler, c’est pas son fort à l’Antonin !

Aurélie : - Pourtant, à la télé, il a l’air toujours tellement à l’aise…

Odette : - Avec un prompteur, tout le monde serait comme lui ! (face au regard interloqué d’Aurélie, Odette réalise qu’elle s’exprime devant une lauréate) Mais non ! Je plaisante ! On est dans le sud-ouest ici, on a la galéjade facile.

Aurélie : - Je croyais que la galéjade, c’était à Marseille.

Odette : - Je voulais dire la gasconnade.

Aurélie : - Gasconnade, Gascogne, Gascon, c’est donc vrai : le caractère des Gascons était très haut en couleur ? C’était bien au temps de la langue d’Oc ? Après l’empire romain ?

Odette : - Je suis là pour vous accueillir. L’office de tourisme c’est à côté… Je vous l’ai dit, la Garonne nous irrigue, donc nous avons la plaisanterie facile. Comme vous êtes de Paris, vous ne comprendrez pas toujours !

Aurélie : - Je suis de Châteauroux.

Odette : - Oh, pour nous, au-dessus de Brive, c’est le pôle Nord .

Aurélie : - C’est une gasconnade !

Odette : - Vous comprenez vite… j’allais ajouter pour une parisienne ! Je vous bouscule un peu, c’est juste pour noyer mon anxiété ! Je noie mon anxiété dans la Garonne ! Je vous l’avoue sans chichis : je ne comprends pas pourquoi Antonin n’est pas à ma place…

 

Théâtre

 

Les écrivains et la libraire

 

Un salon du livre « à la campagne ». Une salle des fêtes avec tables sur tréteaux.

Trois tables, avec au centre Stéphane, à sa gauche Nadine, à sa droite, la libraire.

D’autres tables invisibles. Quelques phrases et bruits fuseront de ces espaces hors champ. 

 Acte 1

 

La libraire, debout derrière sa table, regarde sa montre, s’ennuie.

Stéphane et Nadine ont rapproché leur chaise et discutent. Ils se connaissent depuis une quinzaine d’années, ont débuté ensemble les salons du livre dans leur région…

 

 

Nadine : - Je crois que ce midi, quand on reviendra de manger, tes slogans auront disparu.

Stéphane : - Elle osera jamais.

Nadine : - Tu as vu comme elle te regarde !

Stéphane : - Elle ose pas me demander un autographe !

Nadine : - Tu as quand même la grosse tête.

Stéphane : - Au moins 97% des personnes qui me critiquent seraient prêtes à se compromettre dix fois plus que moi pour la moitié de ma notoriété.

Nadine : - Je me souviens de nos débuts…

Stéphane : - Pour les organisateurs, j’étais un jeune con inconnu, donc ils me méprisaient, me toléraient uniquement comme animateur obtenu gratuitement pour leurs petites agitations locales. Maintenant, je suis un vieux con, un peu connu, alors ils me courtisent ! Ils croient important de pouvoir piailler « nous avons obtenu la présence du grand écrivain et auteur de chansons ! »

Nadine : - Et tu en profites.

Stéphane : - Tu crois peut-être que je suis dupe ! Ils m’ont invité pour éviter mes critiques sur le site du département. C’est même pas leur choix, c’est le Conseiller Général, il espère être épargné ! Mais enfin, Nadine, ce n’est pas sérieux tout cela (il montre livres et Cd). Le jour où tu crois pouvoir te reposer sur ce que tu as fait, autant aller garder des moutons au Burkina !

Nadine : - Mais je croyais que tu ne participais plus à ce genre de salon.

Stéphane : - Tu veux connaître le montant du chèque !

Nadine : - Quoi, ils t’ont payé !

Stéphane : - Remboursement des frais de déplacement, hôtel hier soir et ce soir.

Nadine : - Tu déconnes, tu es à quarante kilomètres.

Stéphane : - Et alors ! Tu ne sais pas qu’un écrivain a besoin d’une bonne nuit avant d’affronter un salon exténuant ?

Nadine : - Et en plus ils t’ont payé !

Stéphane : - Et toi, tu es comme moi avant ! Tes frais de déplacement sont de ta poche, tu payes ton repas du midi…

Nadine : - Pas toi !

Stéphane : - Ce serait mesquin ! Et tu as payé ta place ! Tu comprends pourquoi il y a quelques années, j’ai décidé de boycotter les salons.

Nadine : - En plus, c’est quand tu étais rmiste, que ça t’aurait été utile d’être payé. Maintenant, j’ai l’impression que c’est une goutte d’eau.

Stéphane : - La chanson est une vraie pompe à fric !

Nadine : - C’est pas pour critiquer ! tu me connais ! mais parfois tu ne te casses pas !

Stéphane : - Quand tu es connu, tu es sollicité et personne n’ose te dire non. Si ça se vend, tu es encore plus sollicité alors tu écris encore plus vite ! Le seul critère c’est la vente. Ça laisse du temps pour écrire des livres !

Nadine : - Faire du fric pour être tranquille, comme tu résumes.

Stéphane : - Cette année mes seuls revenus internet me permettraient de vivre sans vendre le moindre livre. Alors que l’année prochaine, si j’avais pas la chanson, je retomberais peut-être rmiste ! Il faut avoir conscience de la précarité de tout cela. Même la chanson finalement. Il suffit de trois bides consécutifs et ils feront appel à d’autres ! Si je vivais comme une star, un jour c’est sûr tu me verrais pleurer mes belles années !

Nadine : - Tu rembourses par tes impôts ce que tu as touché du Rmi.

Stéphane : - Un jour les jeunes écrivains seront cotés en bourse. Tu te rends compte, si tu avais pris des actions du jeune écrivain, tu pourrais arrêter de travailler.

Nadine : - Mais si tu avais pris les miennes ! De toute manière, tu le sais, je suis contre le capitalisme.

Stéphane : - Pendant des années tu as vécu comme une française moyenne alors que j’étais rmiste. Il faut bien qu’il y ait une certaine logique. Etre écrivain c’est à plein temps !

Nadine : - Une française moyenne, tu exagères ! Si je ne te connaissais pas je te prendrais pour un pistonné qui n’y connaît rien à la réalité !

Stéphane : - J’ai simplement observé le monde tel qu’il est. Et j’ai essayé de trouver la meilleure solution.

Nadine : - Mais moi, si je refuse qu’on se foute de ma gueule, je fais quoi ?

Stéphane : - On en a déjà parlé.

Nadine : - Oui, mais en ce temps-là, tu étais comme moi (elle se veut lyrique) inconnu au bataillon, simple écrivaillon de la région.


roman

 

 

Viré, viré, viré,

même viré du Rmi !

 

 

 

A

 

Il cite Marcel Proust, Stendhal, Milan Kundera, Emile Zola mais aucune référence précise ne lui vient quand il repense à l’instant crucial, au jour où il fut persuadé d’avoir compris l’essentiel : « pour atteindre mon objectif, je devrai tricher encore un peu mais surtout comprendre avant les autres un bouleversement ; tricher et magouiller, au stade amateur, sera rapidement insuffisant ; l’autre alternative étant de me professionnaliser, prendre trop de risques, tenter un de ces coups de poker le plus souvent synonyme de case prison… et ça non ! »

Son objectif : « vivre libre. » Classique. Vivre libre avec la littérature et la nature. Lire, planter des arbres, manger de vrais fruits, jardiner, et pourquoi pas même un jour écrire, raconter. Moins Classique.  

A la librairie de Reims, il avait acheté des biographies d’écrivains et son premier mois de chômeur s’est déroulé avec ces livres, dans sa chambre d’enfant, chez sa mère, où il est retourné après « l’accord transactionnel », conclusion voulue définitive d’une expérience de salarié.

 

Il a 25 ans, s’abonne au quotidien « le Monde », à l’hebdomadaire « le Nouvel Observateur. » Il se donne deux ans ainsi, pas plus, plus « ce ne serait pas tenable. »

Il a conscience d’un décalage avec « les jeunes de sa génération » : 25 ans est devenu l’âge de la véritable entrée dans la vie active pour un diplômé. Alors il ne côtoiera presque personne durant ces mois. Hormis la coupure du samedi soir, mais il sortira en Belgique ou dans l’Aisne, si loin qu’il n’y croisera jamais personne de son canton.

C’était une transgression des lois de son époque : être cadre, à 25 ans, et ne pas tout faire pour le rester, pour progresser dans « la hiérarchie », accroître son pouvoir d’achat. C’était en 1993.

 

 

1

 

Dire qu’à 25 ans j’étais cadre ! Cadre en informatique même. L’informatique déjà incontournable, début de carrière prometteur, une voie royale, promesse d’une vie aisée, belle voiture, belle maison, vacances, résidence secondaire. Puis ce fut la dégringolade. Déchéance sociale. Viré du grand groupe, la grande famille où l’on entrait normalement pour la vie. Quelques années d’Assedic tranquille et viré de l’ANPE sur ordre de la Direction Départementale du Travail et de la Formation Professionnelle. La deuxième chambre du tribunal administratif de Toulouse n’avait pas encore délibéré de mon appel contre cette radiation, que je perdais mon RMI.

Que se serait-il passé si J.P. Julliere, président, et M.Torelli, F. Perrin, conseillers, avaient, deux ans, quatre mois et dix-neuf jours après l’enregistrement de ma requête, décidé de me réintégrer dans mes droits à l’ANPE donc à l’Allocation de Solidarité Spécifique ?

Et si mon indemnisation avait été vitale, ma radiation dramatique ? Deux ans, monsieur, veuillez patienter. Votre référé n’a pas été jugé recevable, votre dossier n’est donc pas urgent, veuillez patienter et répondre aux questions adressées par voie postale.

 

Oser me virer du Rmi ! Quelle honte ! Un Conseil Général de gauche en plus ! La machine à exclure est en roue libre…

Viré de quelques histoires d’amour, aussi, forcément : les sentiments résistent rarement à un tel parcours…

 

Je peux tenir ainsi quelques minutes, broder sur le « grand capital », les conséquences de la mondialisation, l’urgence d’un retour aux préoccupations sociales, la nécessité de produire des statistiques véritables preuves du bien-fondé des mesures gouvernementales…

 

Parfois je m’invente des contemporains avec lesquels des relations humaines seraient agréables. Et cette modeste présentation déclencherait un fou rire ou un sourire de connivence. Parfois. Mais le plus souvent je préfère sourire vraiment seul. Et vider une bière à la santé des salariés, des ministres, des syndicalistes ; parfois même du Conseil Général ; qui serait peut-être compatissant si j’invoquais un funeste destin de victime en remontant à ma première expulsion d’un mouvement organisé : le club de football de Troisvaux-Belval, dans le Pas-de-Calais, où le fils du président présidait sur le terrain. Monsieur le Conseiller Général, « ancienne gloire cantonale du ballon rond », me procurerait sûrement un emploi communal si j’évoquais, presque larmoyant, « ma détresse », quémandais contre la promesse d’une totale dévotion, de quelques rimes thuriféraires.

 

Mais ce serait trop difficile, un véritable jeu de scène, intenable, d’entretenir des « relations humaines » au-delà du strict nécessaire. Même avec des êtres exponentiellement plus cultivés. Il est sûrement trop tard : être encore et de nouveau viré ne m’intéresse plus. Le goût n’y est plus : à 25, même 30 ans, je correspondais encore à l’idée que je me faisais de l’insoumission. Oui, il est sûrement trop tard. Même pour l’amour. J’ai 36 ans. Et trop de cheveux m’ont abandonné.

 

Avec ma mère, au téléphone, un soir, j’ai bien testé ce pathétique speech. Comme c’était tellement prévisible, elle a embrayé sur son invariable couplet refrain « tu vas vivre de quoi ? tu regretteras Groupama. » Même pas un alexandrin ! Parce qu’à Groupama donc, j’étais cadre, le premier enfant du village à décrocher un BTS avait été embauché chez l’assureur des agriculteurs. Voie royale, oui, oui. Ça rabaissait un peu leur clapet aux épouses de conseillers municipaux dont les fils rivalisaient de BEP agricole en CAP mécanique et les filles de CAP commercial en BEP coiffure.

Dans mon dictionnaire de rimes, avec Groupama y’a que migraine. J’ai souri en retenant au bord des lèvres cette vieille réplique. Inutile de la balancer… ou bien pour voir ? Voir si elle va enchaîner de nouveau « c’est pas des rimes qui vont remplir ton assiette. »

L’assiette : mes arguments culinaires lui semblent loufoques : incompréhensible, cette critique des restaurants alors justement « qu’aller au restaurant » est un signe de réussite. Folie, l’expression « de la merde bien présentée » ! Aujourd’hui, dans mon assiette, la viande provient de ma cour, les légumes du jardin et les fruits des quelques arbres (sûrement mes meilleurs amis après les poules, les pintades, les dindes et les pigeons). Un rmiste peut désormais se nourrir mieux que les princes. Pauvre premier ministre obligé de croquer une cuisse de poulet industriel pour soutenir la filière aviaire, pauvres politiques condamnés à partager les gargouilles festives pour récolter quelques voix. Ceci est mon message !

 

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